CHAPITRE 14

 

Je me souviens de leur visage.

Pas les visages des belles enveloppes maories résistantes aux radiations qu’ils ont portées jusqu’à Dangrek et jusqu’aux ruines fumantes de Sauberville. Non, je revois le visage qu’ils avaient avant de mourir. Le visage que Sémétaire a pris et vendu pour les renvoyer au chaos de la guerre. Les visages avec lesquels ils s’imaginaient, ceux qu’ils présentaient dans le virtuel de la chambre d’hôtel impersonnelle où je les ai rencontrés pour la première fois.

Le visage des morts.

 

Ole Hansen :

Un caucasien à la pâleur irréelle, des cheveux en brosse blancs comme la neige, des yeux calmes, bleus comme l’affichage d’un équipement médical en phase non critique. Envoyé physiquement de Latimer avec la première vague de renforts cryo des Nations-unies, à l’époque où l’on pensait que Kemp ne tiendrait pas six mois.

— J’espère que c’est pas encore une opé dans le désert. (Il affichait encore des plaques rouges, brûlées, sur le front et les pommettes.) Parce que dans ce cas, autant me remettre dans la boîte. La mélanine cellulaire, ça gratte comme pas permis.

— Là où on va, il fait froid, lui ai-je assuré. Latimer City en hiver, et je parle des maxima. Vous savez que votre équipe est morte ?

Hochement de tête.

— J’ai vu l’explosion depuis l’hélicoptère. Le dernier truc dont je me souviens. Pas étonnant. Une bombe maraudeuse capturée. Je leur avais dit de la faire péter sur place. Ces machins-là sont trop têtus pour qu’on les retourne. Pas moyen de discuter.

Hansen faisait partie d’une équipe de démolition d’élite, les Délicats. J’avais entendu parler d’eux chez les Impacteurs. Ils avaient la réputation de réussir presque chaque fois. Enfin, avant.

— Ils vont vous manquer ?

Hansen s’est retourné sur son siège, et a regardé le minibar de la chambre. Il a lancé un coup d’œil à Hand.

— Je peux ?

— Je vous en prie.

Il a marché jusqu’à la forêt de bouteilles, en a choisi une et s’est versé un liquide ambré. Il a levé son verre plein à ras bord dans notre direction, les lèvres serrées et les yeux bleus décidés.

— À la santé des Délicats, où que se trouvent leurs atomes fragmentés. Épitaphe : « S’ils avaient écouté les ordres, ils seraient encore avec nous. »

Il a tout descendu cul-sec, a grogné et jeté le verre par-dessus son épaule. Il a heurté le tapis avec un bruit à peine audible avant de rouler jusqu’au mur. Hansen est venu se rasseoir à la table. Il y avait des larmes dans son regard, mais c’était sans doute l’alcool.

— D’autres questions ? a-t-il demandé d’une voix déchirée.

 

Yvette Cruickshank :

Une vingtaine d’années, le visage si noir qu’il était presque bleu, une structure osseuse qui rappelait un intercepteur de haute altitude, des dreadlocks attachées à quatre ou cinq centimètres au-dessus du crâne, en palmier. Elle y avait ajouté des bijoux d’acier à l’allure dangereuse, ainsi que quelques fiches d’implantation rapide, vertes et noires. Ses ports jack à la base du crâne en portaient trois autres.

— C’est quoi, ça ?

— Linguapack thaï et mandarin, shotokan neuvième dan. (Elle remontait les étiquettes en braille avec une assurance incroyable. Elle pouvait sans doute les enlever et les remplacer à l’aveuglette en plein combat.) Médecine de terrain, degré avancé.

— Et celles dans vos cheveux ?

— Interface navsat, et violon de concert. (Elle a souri.) Celle-là, ça fait longtemps qu’elle ne m’a pas servi. Mais elle me porte chance. Enfin, portait.

Son visage s’était effondré si vite que je me suis mordu la lèvre pour ne pas rire.

— Vous avez demandé des postes de déploiement rapide sept fois l’année dernière, a dit Hand. Pourquoi ?

— Vous m’avez déjà posé la question, a-t-elle répondu en souriant.

— Ce n’était pas le même moi.

— Oh, je comprends. L’esprit dans la machine. Ouais, eh bien, comme je vous-lui avais dit… Davantage de concentration, d’influence sur l’issue du combat… de meilleurs jouets. Vous savez, vous avez plus souri la dernière fois que je vous ai dit ça.

 

Jiang Jianping :

Des traits asiatiques pâles, des yeux intelligents un peu introvertis, et un sourire évanescent. Le tout donnant l’impression qu’il réfléchissait à une anecdote subtile dont on venait de lui faire part. En dehors de ses mains calleuses et d’une façon de marcher un peu trop souple sous ses vêtements noirs, rien n’indiquait la nature de sa spécialité. Il avait plus l’air d’un professeur un peu fatigué que d’un type qui connaît cinquante-sept façons différentes de mettre un corps humain hors service.

— Cette expédition, a-t-il murmuré, n’est sans doute pas dans le cadre global de la guerre. C’est une affaire commerciale, non ?

— Toute la guerre est une affaire commerciale, Jiang, ai-je éludé en haussant les épaules.

— Si c’est ce que vous pensez.

— C’est ce que vous pensez aussi, a dit Hand sévèrement. J’ai connaissance des communiqués gouvernementaux au plus haut niveau, et je vous le dis. Sans le Cartel, les kempistes seraient à Landfall depuis l’hiver dernier.

— Oui, c’est ce que je luttais pour empêcher. C’est ce que je suis mort pour empêcher, a-t-il corrigé en croisant les bras.

— Bien, a dit Hand. Parlez-nous donc de ça.

— J’ai déjà répondu à cette question. Pourquoi la répéter ?

Le cadre Mandrake s’est frotté les yeux.

— Ce n’était pas moi. C’était un construct de filtrage. Nous n’avons pas eu le temps de recueillir toutes ses données. Alors si vous voulez bien…

— C’était un assaut de nuit sur la plaine Danang, une station de relais mobile pour le système de gestion des bombes maraudeuses kempistes.

— Vous en faisiez partie ?

J’ai regardé le ninja face à moi avec un respect renouvelé. Dans le théâtre de Danang, les frappes clandestines sur le réseau de communication de Kemp étaient les seuls succès réels du gouvernement sur les huit derniers mois. Je connaissais des soldats qui devaient la vie à cette opération. Les chaînes de propagande trompetaient encore la nouvelle de cette victoire stratégique quand mon peloton et moi nous faisions tailler en pièces sur la Bordure nord.

— J’ai eu l’honneur d’être nommé commandant de cellule.

Hand a regardé sa paume, où les données défilaient comme une maladie de peau mobile. Magie du système. Jouets virtuels.

— Votre cellule a accompli ses objectifs, mais vous avez été tué à l’extraction. Comment est-ce arrivé ?

— J’ai commis une erreur, a articulé Jiang avec autant de mépris qu’il mettait dans le nom de Kemp.

— Laquelle ?

Personne n’aurait pu louer le tact du cadre Mandrake.

— J’ai cru que les systèmes de défense de périmètre automatiques se désactiveraient à la destruction de la station. Erreur.

— Oups.

Il m’a jeté un regard.

— Ma cellule ne pouvait pas se retirer sans couverture. Je suis resté en arrière.

— Admirable, a apprécié Hand.

— L’erreur était de moi. Et c’était un prix bien faible pour arrêter la progression kempiste.

— Vous n’êtes pas vraiment fan de Kemp, n’est-ce pas Jiang ?

J’ai tenté de garder une voix aussi prudente que possible. Apparemment, son engagement était sincère.

— Les kempistes prêchent une révolution, a-t-il craché. Mais que changeront-ils s’ils prennent le pouvoir sur Sanction IV ?

Je me suis gratté l’oreille.

— Eh bien, je pense qu’il y aura plus de statues de Joshua Kemp dans les lieux publics. À part ça, sans doute pas grand-chose.

— Exactement. Et pour arriver à cela, il a sacrifié des milliers de vies humaines ?

— Oui, beaucoup de milliers. Écoutez, Jiang, nous ne sommes pas kempistes. Si nous obtenons ce que nous voulons, je vous promets qu’il y aura un intérêt renouvelé pour la défaite de Kemp sur Sanction IV. Cela vous va-t-il ?

Il a posé les mains à plat sur la table et les a étudiées un moment.

— J’ai le choix ?

 

Ameli Vongsavath :

Un visage étroit, un nez en bec d’aigle, et une peau couleur de cuivre terni. Une coupe de cheveux de pilote, qui a besoin d’être rafraîchie, le henné qui vire au noir. Derrière, les mèches les plus longues recouvrent presque les prises argentées des câbles de symbiose de vol. Sous l’œil gauche, un croisillon noir, comme un tatouage, marque la pommette où s’insèrent les filaments de dataflow. L’œil au-dessus est d’un gris de cristal liquide, tandis que la pupille droite est noir de jais.

— Fourniture d’hôpital, a-t-elle dit quand sa vision augmentée a remarqué mon regard. J’ai pris des tirs au-dessus de Bootkinaree Town l’année derrière, et ça a fait sauter le dataflow. On m’a rafistolée en orbite.

— Vous avez fait le vol de retour sans feedback de données ? ai-je demandé d’un ton sceptique. Qu’était-il arrivé au pilotage auto ?

La surcharge avait dû lui pulvériser tous les circuits de la pommette, et griller les tissus sur une demi-paume tout autour.

— Grillé, a-t-elle grimacé.

— Comment avez-vous gardé le contrôle dans cet état ?

— J’ai éteint la machine, je suis passée en manuel. Retour à la poussée normale, avec gouvernail simple. C’était une Lockheed Mitoma – les contrôles tournent encore en manuel si on fait ça.

— Non, je voulais dire comment avez-vous manié les commandes dans l’état où vous étiez ?

— Oh. (Elle a haussé les épaules.) Je tiens bien la douleur.

Ben voyons.

 

Luc Deprez :

Grand et dépenaillé, des cheveux blonds plus longs qu’on ne devrait les porter sur le champ de bataille, et sans ordre apparent. Le visage aux angles caucasiens, un long nez osseux, une mâchoire carrée, et des yeux d’un vert curieux. Assis de façon très décontractée sur sa chaise virtuelle, la tête penchée comme s’il ne nous voyait pas très bien dans cette lumière.

— Bon… (Il a pris mes Landfall Light sur la table et en a sorti une du paquet.) Vous allez me parler de ce coup ?

— Non, a répondu Hand. C’est confidentiel jusqu’à ce que vous acceptiez.

Un gloussement rauque dans la fumée tandis qu’il tirait sur la cigarette.

— C’est ce que vous avez dit la dernière fois. Et comme je vous ai répondu la dernière fois, à qui vous voulez que j’en parle ? Si vous ne voulez pas de moi, je retourne direct dans la boîte, pas vrai ?

— Peu importe.

— OK, OK… Vous voulez me demander quelque chose ?

— Parlez-nous de votre dernière mission d’assaut clandestine, ai-je proposé.

— C’est confidentiel, a-t-il lâché en regardant nos visages sérieux. Eh, c’était une blague ! J’ai déjà tout raconté à votre partenaire. Il ne vous a rien dit ?

Hand s’est retenu de grogner.

— Euh, c’était un construct, me suis-je empressé de dire. C’est la première fois que nous entendons ce que vous avez à dire. Si vous voulez bien le répéter.

Deprez a haussé les épaules.

— Bien sûr, pourquoi pas… C’était une frappe sur l’un des commandants de secteur de Kemp. Dans son croiseur.

— Réussie ?

— Je veux, a-t-il dit avec un sourire fier. La tête, vous voyez… Elle s’est détachée…

— Je me demande, puisque vous êtes mort et tout…

— Ça, c’était un coup de malchance. Le sang de ce connard était chargé de toxine délétère. Action lente. On ne s’est rendu compte de rien avant la sortie.

— Vous avez été éclaboussé ? a demandé Hand, les sourcils froncés.

— Non, mec. (Le visage anguleux a paru peiné. Il a regardé vers le plafond.) Ma partenaire, elle, a tout pris dans les yeux quand la carotide a lâché. Le problème, c’est que c’était la pilote.

— Ah.

— Ouais. On a percuté un immeuble. (Nouveau sourire.) Ça, c’était à action rapide.

 

Markus Sutjiadi :

Beau, avec une perfection géométrique troublante, qui aurait pu voisiner avec Lapinee quelque part sur le Net. Des yeux amande, par la forme et la couleur, une bouche droite, le visage tendant vers le triangle isocèle inversé, émoussé aux angles pour donner un menton solide, un front large. Des cheveux noirs plaqués en arrière. Les traits étrangement immobiles, comme détachés de tout. Drogue ? Une impression d’énergie conservée, réservée, dans l’expectative. Le visage d’un mannequin global qui aurait trop joué au poker ces derniers temps.

— Bouh !

Je n’avais pas pu résister. Les yeux ont à peine sourcillé.

— Il y a de graves accusations contre vous, lui a dit Hand avec un regard de reproche dans ma direction.

— Oui.

Nous avons tous attendu un moment, mais Sutjiadi ne pensait pas qu’il y avait autre chose à dire sur le sujet. Il me plaisait déjà.

Hand a tendu la main comme un illusionniste, et un écran est apparu dans l’air juste devant ses doigts. Encore de la putain de magie système. J’ai soupiré, regardé une tête et des épaules dans un uniforme comme le mien, qui évoluaient à côté d’un défilement de données biolo. Le visage était familier.

— Vous avez tué cet homme, a dit Hand avec froideur. Vous voulez nous expliquer pourquoi ?

— Non.

— Pas besoin, ai-je dit avec un geste vers l’écran. Dog Veutin a tendance à susciter ce genre de réaction chez beaucoup de personnes. Ce qui m’intéresse, c’est comment vous l’avez tué.

Cette fois, le regard a perdu de sa platitude, et a survolé mon insigne d’Impacteur. Confusion.

— Je lui ai tiré dans la tête. Par-derrière.

— Belle initiative. Il est Vraiment mort ?

— Oui. J’ai utilisé un Sunjet en pleine charge.

Hand a fait disparaître l’écran magique d’un claquement de doigts.

— Votre navette a peut-être été détruite en plein vol, mais les Impacteurs pensent que votre pile a survécu. Il y a une récompense pour la personne qui la ramènera. Ils vous cherchent encore pour exécution formelle. (Il m’a regardé en biais.) D’après ce que je sais, c’est généralement très désagréable.

— Oui, en effet.

J’avais vu plusieurs de ces leçons de choses pendant mon passage chez les Impacteurs. Ça avait toujours pris beaucoup de temps.

— Je n’ai aucun intérêt à vous voir finir entre leurs mains, a dit Hand. Mais je ne peux pas risquer d’inclure dans cette expédition un homme qui pousse l’insubordination à de tels extrêmes. J’ai besoin de savoir ce qui s’est passé.

Sutjiadi étudiait mon visage. Je lui ai adressé un hochement de tête infime.

— Il a ordonné que mes hommes soient décimés, a-t-il dit d’un ton crispé.

J’ai encore hoché la tête, pour moi, cette fois. La décimation était, de l’accord général, l’une des formes de relation préférée de Veutin avec les troupes locales.

— Et pourquoi cela ?

— Oh putain, Hand ! ai-je lancé en me tournant dans mon fauteuil. Vous l’avez entendu, non ? On lui a ordonné de décimer son commandement, et il ne voulait pas. Je peux tolérer ce genre d’insubordination.

— Il peut y avoir des facteurs qui…

— On perd du temps, ai-je rappelé en me retournant vers Sutjiadi. Dans la même situation, agiriez-vous différemment ?

— Oui. (Il m’a montré ses dents. Je n’aurais pas vraiment appelé ça un sourire.) J’aurais réglé le rayon du Sunjet sur une dispersion plus large. Comme ça, j’aurais à moitié grillé son escorte, et personne n’aurait pu m’arrêter.

J’ai jeté un regard à Hand. Il secouait la tête, la main devant les yeux.

 

Sun Liping :

Des yeux de Mongole, sombres et ridés, au-dessus de pommettes hautes. Une bouche légèrement crispée, tirée vers le bas, qui pourrait être la suite d’un rire malicieux. De petites ridules dans la peau tannée, et une masse de cheveux noirs repoussés sur une épaule, tenus en place par un gros générateur de champ statique argenté. Une aura de calme, tout aussi inamovible.

— Vous vous êtes suicidée ?

— C’est ce qu’on m’a dit. (Les lèvres se sont tordues en une grimace bancale.) Je me rappelle avoir pressé la détente. Ça fait plaisir de savoir que je tire aussi bien en situation de stress.

Le projectile de son arme était entré sous le maxillaire droit, avait traversé le centre du cerveau et percé un trou parfaitement symétrique dans le sommet de son crâne en sortant.

— Difficile de rater, à cette portée, ai-je dit avec une brutalité toute mesurée.

Ses yeux calmes n’ont pas bougé.

— Il paraît que ça arrive, a-t-elle répondu d’un ton grave.

Hand s’est éclairci la gorge.

— Pourriez-vous nous dire pourquoi vous vous êtes tuée ?

— Encore ?

Elle a froncé les sourcils. Derrière ses dents serrées, Hand a répondu :

— C’était un construct de débriefing, pas moi.

— Oh.

Les yeux se sont relevés, cherchant sans doute un menu déroulant dans sa vision périphérique. À mon avis. Le virtuel avait été conçu pour ne pas rendre le matériel interne, sauf pour le personnel de Mandrake, mais elle ne montra aucune surprise devant l’absence de réaction. Peut-être se rappelait-elle à l’ancienne.

— C’était un escadron de blindés automatiques. Des tanks-araignées. J’essayais de saper leurs paramètres de réaction, mais il y avait un piège viral dans le système de contrôle. Une variante de Rawling, il me semble. (Encore cette petite grimace.) Je n’ai pas bien eu le temps de voir, vous imaginez. Je ne suis pas certaine. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas le temps de me déconnecter. Les premières passes du virus m’avaient déjà verrouillée. Compte tenu du temps que j’avais avant qu’il soit injecté, je n’ai trouvé que cette option-là.

— Très impressionnant, a dit Hand.

 

Quand ce fut fini, nous sommes retournés sur le toit pour nous vider la tête. Je me suis appuyé au parapet pour regarder le calme de Landfall sous le couvre-feu. Pendant ce temps, Hand est allé chercher du café. Les terrasses derrière moi étaient désertes, les chaises et les tables éparpillées comme un message hiéroglyphique laissé aux lecteurs orbitaux. La nuit s’était rafraîchie en notre absence, et le vent me faisait frissonner. Les paroles de Sun Liping me sont revenues en tête.

Une variante de Rawling.

C’était le virus Rawling qui avait tué la tête de pont à Innenin. Qui avait poussé Jimmy de Soto à s’arracher un œil avant de mourir. Le top du top, à l’époque. Maintenant, un vulgaire surplus militaire, disponible n’importe où. Le seul logiciel viral que les forces de Kemp pouvaient s’offrir dans leur détresse.

Les temps changent, mais les forces du marché restent les mêmes. L’Histoire va de l’avant, et les vrais morts restent morts.

Les autres peuvent continuer à avancer.

Hand est revenu en s’excusant, avec des boîtes de café machine. Il m’a tendu la mienne et s’est appuyé à côté de moi.

— Alors, qu’en pensez-vous ? a-t-il fini par demander.

— Je pense que ça a un goût de merde.

Il a gloussé.

— Que pensez-vous de notre équipe ?

— Ils feront l’affaire.

J’ai siroté mon café et toisé la ville en contrebas.

— Je ne suis pas très satisfait du ninja, mais il a des compétences utiles, et il paraît prêt à mourir s’il le faut. C’est toujours un gros avantage, chez un soldat. Combien de temps pour préparer les clones ?

— Deux jours. Au maximum.

— Il en faudra deux fois plus pour que ces gens soient opérationnels dans une nouvelle enveloppe. Peut-on tester l’injection en virtuel ?

— Pourquoi pas ? L’IA-M peut faire tourner des simulations cent pour cent exactes des clones d’après les données brutes du biolab. À trois cent cinquante réels, sur site dans le construct de Dangrek, le tout sera fait en quelques heures de temps réel.

— Bien, ai-je dit.

Je ne savais pas pourquoi, mais je n’y croyais pas.

— Mes propres réserves concernent Sutjiadi. Je ne suis pas convaincu qu’un homme pareil soit apte à recevoir des ordres.

— Alors donnez-lui le commandement, ai-je proposé en haussant les épaules.

— Vous êtes sérieux ?

— Pourquoi pas ? Il est qualifié. Il a le grade qu’il faut, et de l’expérience. Et on dirait qu’il est loyal envers ses hommes.

Hand n’a rien dit. Je sentais ses sourcils froncés à cinquante centimètres.

— Quoi ?

— Rien. (Il s’est éclairci la gorge.) Je pensais. Simplement. Que vous voudriez prendre le commandement vous-même.

J’ai revu le peloton quand le barrage de shrapnels intelligents explosait au-dessus de nous. L’éclair, les explosions, puis les fragments qui rebondissaient et sifflaient dans le rideau argenté de la pluie. Le craquement d’une décharge de blaster en arrière-plan, comme quelque chose qui se déchire.

Des cris.

Vu de l’intérieur, ce qu’arborait mon visage n’était pas un sourire, mais je devais me tromper.

— Qu’y a-t-il de si drôle ?

— Vous avez lu mon dossier, Hand.

— Oui.

— Et vous pensiez encore que je voulais le commandement. Vous êtes malade, ou quoi ?

Anges Déchus
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